Toronto #14 : où il est question de ranger sa fierté au fond de sa poche

Assez bavardé, cette fois on va parler d’un sujet sérieux (ooouuuhhh).

J’avais la chance en France d’être serein concernant le boulot : homme, blanc (faut dire ce qui est), parisien, pas encore trop vieux, avec un diplôme reconnu et ce qu’il faut d’expérience – et quelques compétences, paraît-il, dans ce qu’on appelle les systèmes d’information… Le portrait robot du type qui doit pouvoir se trouver un boulot confortable en quelques jours, s’il n’est pas trop difficile.

Et puis, et puis nous sommes venus ici, à l’étranger, et il m’a fallu chercher un boulot. Sans réseau, expérience ni diplôme canadien… Ou comment passer de l’autre côté du miroir. Un recruteur français de Toronto m’avait prévenu l’hiver dernier : « attention les Français peuvent mettre six mois à trouver un boulot, même quand ils ont une bonne expérience en France. Il va te falloir rencontrer du monde ». Boarf.

La première étape en arrivant, faire son CV. Ici on dit resume. Traduire un CV n’est pas évident : la mise en forme du document et les attendus sont différents, et le vocabulaire et les expressions professionnelles sont parfois très particuliers. Mon métier en France c’est l’« assistance à maîtrise d’ouvrage en systèmes d’information » (si si – ici on dit IT Business Analyst, ou encore Business Systems Analyst). Déjà à expliquer à des Français c’est tout un art, alors le faire dans une autre langue… 😑

Mais, surtout, ce que j’ai compris un peu tardivement, c’est l’automatisation de la sélection. Pour chaque offre de cadre publiée par une grande boîte, les centaines de candidatures sont classés par un ordinateur, en fonction, pour l’essentiel, d’un certain nombre de mots clés attendus. En pratique, si on n’a pas pris de temps d’identifier les mots attendus et de les intégrer dans son résumé avant de l’envoyer -> poubelle. Comme probablement 90% de mes candidatures de l’automne dernier. C’est arrivé à un tel point qu’il m’a été conseillé de me payer un abonnement sur jobscan.co (60$/mois!), qui te donne à la volée le pourcentage de correspondance entre ton résumé et telle offre, et te liste les mots à y rajouter… La ligne entre l’enrobage et le pipeau est parfois un peu ténue.

Deuxième difficulté : la cover letter, comme on appelle ici les lettres de motivation. Je n’étais jamais très à l’aise avec cet exercice de style en France, c’est pire ici. Elle n’est pourtant pas toujours requise, mais on se dit que sans lettre, on va forcément louper le job auquel 200 personnes ont candidaté…. Et surtout, les Canadiens ont une capacité beaucoup plus naturelle que nous à se (sur)vendre : « c’est pourquoi je suis vraiment le candidat parfait et idéal etc. ». Il ne faut pas mentir mais, en même temps, faire profil bas c’est inquiéter le lecteur. Il y a la une vraie différence culturelle, que Sarah a du intégrer fissa dans l’écriture de ses papiers.

Troisième difficulté : n’avoir ni réseau ni première expérience canadienne. Et ça, c’est vraiment compliqué à surmonter. Tous les immigrants expérimentés y sont confrontés. Une bonne partie (la majorité ?) des offres n’est en fait même pas publiée, les employeurs faisant d’abord appel à leurs réseaux de connaissances. On m’a expliqué d’ailleurs qu’ici on ne vire pas tant les nouvelles recrues par manque de compétences, que par manque de « savoir être ». Il faut être un collègue sympa, et que les gens se souviennent de toi plus tard pour le boulot qui s’ouvre. Avoir et développer son « réseau » est donc un passage obligé, par le bénévolat, les groupes de discussion (connaissez vous les toast masters ?) et les autres activités sociales…

Voilà pour les éléments de contexte. Entre septembre et décembre j’ai ainsi envoyé au moins 200 de candidatures restées sans réponse, pour plein de postes différents, et j’ai un peu craqué moralement. Juste une poignée d’entretiens, surtout téléphoniques, restés dans lendemain. J’ai donc changé de stratégie en janvier. Le matin, je retourne sur les bancs de l’école en prenant des cours d’anglais à la TSDB, comme les enfants ! Au déjeuner, je bosse comme livreur à vélo, pour doordash ou foodora. Pourquoi ce boulot ? Parce qu’en tant que vieux cycliste, j’étais curieux de faire cette expérience là, que le recrutement est facile et rapide, que l’emploi du temps est souple et que ça ne paie pas si mal, en tout cas quand mon vélo roule et que personne n’est malade à la maison (compter autour de 20$/h autour du dej, quand le salaire minimum est à 14). C’est un peu piègeux quand il y a 10cm de neige dans la rue mais j’ai survécu aux pires journées maintenant. 😉

Et j’ai deux heures l’après midi pour manger, m’occuper de la maison et de la suite pour moi.

Mon profil LinkedIn est à jour avec une jolie photo et ce qu’il faut de mots-clés. J’ai arrêté les candidatures à la chaîne et je me concentre sur les gens que je rencontre. Car visiblement c’est comme ça que ça marche (spoiler : il se pourrait d’ailleurs que ce soit en train de porter ses fruits). Il m’aura juste fallu six mois pour comprendre.

Toronto #13 : polar vortex

Ça ressemble au titre d’un bouquin qui fait peur, ou encore au nom d’un poison inventé dans je ne sais quel laboratoire au temps de la guerre froide.

On a découvert le concept de polar vortex il y a un peu plus d’un mois, en tombant, dieu sait comment, sur le site severe-weather : « sudden stratospheric warming underway« . L’article disait en gros que la stratosphère du pôle nord était en train de se réchauffer, ce qui risquait de pousser vers l’Europe et l’Amérique du Nord un froid polaire dans les semaines suivantes. Initialement j’étais plutôt préoccupé par cette histoire de réchauffement des pôles (si ça ne vous parle pas, renseignez vous c’est un peu flippant), mais le froid polaire en Amérique du Nord… Bon.

Il faut dire que jusque là, en novembre et décembre, nous avions eu un hiver assez clément… Un peu de neige, vers mon anniversaire, mais rien de commun avec les grands froids que nous avions pu expérimenter au Québec lors de nos voyages précédents, et plus particulièrement à Montréal à la fin décembre. On était donc devenu assez serein vis-à-vis de l’hiver torontois, d’autant que les gens d’ici sont souvent rassurants sur le sujet, en mode il ne fait jamais très froid de ce côté ci du Canada.

Bref. Après avoir lu l’article, j’ai du faire une blague facile à Sarah, du genre : « tiens, winter is coming ». Et elle a du répondre en se moquant de moi, que je devrais arrêter de regarder les sites de météo, et me comparer par la même occasion à ma regrettée mamie.

Mais, de fait, severe-weather avait vu juste :

En gros et gras ce sont les… max ! Le matin en allant à l’école, c’est en bleu. 😉

On a donc eu du méchant froid, de la grosse neige, et re-du méchant froid. Avec pour conséquence un week-end planqué dans l’appartement pour cause de la tempête de neige :

A ce niveau de température (-21°C donc, sans compter le vent !), on a beau avoir un bon manteau et de bonnes chaussures, et bien soyez certains qu’on se pèle comme il faut. Surtout quand on compte passer une heure ou deux sur un vélo… (mais ce sera le sujet d’un autre billet)

Les transports en commun, qui pourtant en ont vu passer des belles, ont bien souffert, avec les mêmes polémiques qu’en France dès que le temps sort de l’ordinaire… Comme quoi. Heureusement, n’ayant pas à prendre ni le métro, ni le tram, ni la voiture, nous avons pu nous concentrer sur le charme d’une ville recouverte plus longtemps qu’à l’accoutumée d’un épais manteau de neige.

Les joies de la neige dans son jardin 🙂
Notre Grange Park tout blanc
Toronto vue du 52e étage de la plus haute tour de bureau de Toronto !
Le calme après la tempête, au petit matin

Le pire dans tout ça, c’est qu’on a eu la chance de ne se trouver qu’au bord du dit « vortex polaire », car les voisins de Chicago ont pris encore bien plus cher !

Et puis, comme toutes les bonnes choses ont une fin, le vortex est rentré il y a quelques jours chez lui, au pôle nord, et les températures ont très subitement retrouvé la normale. La neige fond et gèle et re-fond, les virus sont à la fête… Il fait autour de zéro degré, et on se surprend à trouver que c’est finalement une température pas si désagréable. On devient encore un peu plus canadien, quoi.

Pour conclure ce billet, je vous renvoie vers une émission récente de France Culture : Qui doit avoir peur du vortex polaire ? (ça ne s’invente pas !). En ce qui concerne, nous n’avons pas plus peur, mais on n’est pas pressé de se le coltiner de nouveau. 🙂